Journée(s) internationale(s)des droits de l’Homme et des migrants 

PENSER ET S’EXPRIMER LIBREMENT SUR LA NOUVELLE 

POLITIQUE MIGRATOIRE DU MAROC , UN DROIT À RESPECTER !

 Je souhaiterais tout d’abord préciser que je m’exprime à titre personnel en tant que chercheur en migration et militant pour les droits des migrants (citoyens marocains résidant à l’étranger, immigrés et réfugiés au Maroc). Organisationnellement, je  n’appartiens pas au Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et des migrants (Gadem-Maroc), mais j’ai participé à un certain nombre de ses rencontres et séminaires  dans le cadre du débat public sur des aspects liés à la question migratoire au Maroc, en précisant qu’en aucun cas, je n’ai été associé à ses travaux rémunérés.

Abdelkrim Belguendouz
Abdelkrim Belguendouz

Solidarité avec les « Gadémistes » et des journalistes

Cependant, à l’instar d’autres chercheurs, d’acteurs politiques, associatifs et syndicaux  et d’ONG de la société civile au Maroc, qui ont adopté le même positionnement notamment sur la loi 02-03 depuis plusieurs années, je souscris totalement au plaidoyer du Gadem, développé sans complaisance dans son communiqué du 24 novembre 2023 . Notamment pour la dépénalisation et la décriminalisation de la migration irrégulière au Maroc ( immigration mais aussi émigration à ne pas oublier), ainsi que pour la simplification de la procédure d’octroi et de renouvellement des titres de séjour et régularisation.

Par ailleurs , certes , il faut se mettre à l’abri des influences extérieures, quelque soit  soit d’ailleurs leur provenance , y compris de l’Union européenne, de ses États membres et des agences  de coopération qui leur sont liées. La question du financement extérieur est cruciale . Elle nécessite une transparence absolue et mérite toute la réflexion requise pour voir dans quelle mesure il pourrait y avoir une ingérence ou une activité d’influence. Mais faute de preuves probantes et d’éléments précis à charge relatif à la nature, aux objectifs réels de ces financements et à leur impact concret , ceci ne justifie nullement un lynchage médiatique et un procès d’intention.

Tout comme j’exprime toute ma solidarité avec les membres diabolisés du Gadem, soumis dans les réseaux sociaux ( et pas que) à des attaques nauséabondes et outrancières, à un déchaînement de parole raciste,  à  une campagne diffamatoire virulente, violente et haineuse, à des menaces  dangereuses pour la démocratie, le vivre-ensemble et la sécurité physique des personnes. Tout ceci  nécessite  une intervention urgente et ferme des autorités concernées pour étouffer dans l’œuf ces comportements répugnants.

Ma solidarité également avec Hassan Bentaleb du journal « Libération », soumis aussi comme le relève Migrapress, un organe médiatique engagé pour la promotion du dialogue interculturel et de la diversité, à un déferlement d’injures et de propos diffamatoires sur les réseaux sociaux par des internautes qui se présentent comme des « défenseurs de la pureté de la race marocaine » ( sic )), suite à un prétendu « projet de colonisation orchestré par des mains étrangères invisibles, utilisant les migrants subsahariens comme pions dans une conspiration contre la sécurité nationale ». Ceci dans la lignée de la théorie fumeuse du grand remplacement (du peuple blanc et chrétien européen), provoqué par le « grand déplacement » notamment des Africains et des arabo-musulmans vers l’Europe, qui « décivilisent » ce continent.

Comme pour le Gadem, ces milieux reprochent au journaliste ses analyses critiques en matière de politique marocaine d’immigration et d’asile , et de ses propositions constructives en la matière pour aller de l’avant. Leur but est l’intimidation pour étouffer toute expression divergente, faire taire toute voix discordante.

Un débat bienvenu

droits de l'homme

Face à cette dérive à condamner avec force, il était important que « Maroc-Hebdo » initie sur ses colonnes, un débat ouvert, franc et sans complaisance, pluriel, apaisé, calme,  et responsable à l’occasion du 10ème anniversaire du lancement de la « Nouvelle Politique Migratoire du Maroc » et du 20ème anniversaire de l’application de la loi 02-03, ce à quoi justement, vise le communiqué du Gadem.

En effet, contrairement à ce que développe un site qui n’a rien à voir avec le parlement, ce communiqué ne participe pas des « initiatives troublantes ». Tout comme il ne provient nullement d’un groupe que certains adeptes du clavier, dans une démarche complotiste et plus que xénophobe , qualifient de « danger pour le Maroc et les Marocains » ( !!!) , contribuant en quelque sorte à déstabiliser le Maroc ainsi que sa génétique (!!!) en  « négrifiant le Maroc » (!)  et en provoquant  « une immigration inutile et néfaste au peuple . autochtone ». En  saluant en ses auteurs le courage de leur engagement, ce communiqué du Gadem constitue au contraire une démarche louable et responsable destinée à faire avancer la politique migratoire du Maroc et les droits des immigrés et des réfugiés au Maroc, et à ouvrir dans ce sens un débat pondéré, constructif et serein. Ce que permet et encourage fortement la Constitution du Maroc dans le cadre du débat pluraliste, dans un pays modéré et ouvert, accueillant et tolérant. Ceci en dépit de certains cas et de certaines poches de résistance qui cherchent à semer la zizanie, à remettre en cause cette convivialité et à étouffer la réflexion pour l’action en ce domaine.

À ce propos, le message du Souverain adressé  aux participants du symposium organisé le 7 décembre 2023 par le CNDH à Rabat, à l’occasion du 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme , incite à aller plus loin : « L’engagement du Royaume  du Maroc en faveur de la promotion des droits de l’homme au niveau national, ne se limite pas à leur simple consécration constitutionnelle, il devient également un pilier des politiques publiques et un paramètre essentiel à prendre en compte dans les choix stratégiques aussi bien économiques, sociaux et culturels qu’environnementaux ».

Une généralisation abusive et non fondée

Par ailleurs, les commentaires de Pierre Antoine Plaquevent auquel a eu recours « Maroc-Hebdo » à travers une interview ( et les articles de l’hebdomadaire sur la thématique), et en revenant également à d’autres interventions que le précédent auteur a faites, laissent à penser que la réflexion, le plaidoyer et l’action au Maroc notamment pour la dépénalisation et la décriminalisation de l’immigration irrégulière, ainsi que pour l’assouplissement de la délivrance des cartes de séjour aux immigrés, participent de la subversion politique contemporaine, de la déconstruction, affaiblissement et de la dissolution des États nations , dont celui du Maroc . Pour cet auteur, ceci constitue une attaque contre la souveraineté politique et la stabilité sociale du pays à travers l’immigration de masse. Toujours selon son point de vue, le plaidoyer entrepris, ne serait que le résultat d’une influence financière ( et politique ) externe et non pas l’expression d’un militantisme sincère et assumé, remettant ainsi en cause jusqu’à la légitimité de l’engagement citoyen et de la lutte pour les droits humains des migrants et des réfugiés et désavouant et dévoyant ce combat difficile mais combien nécessaire. 

Pour cet auteur, l’humanisme en la matière ne serait qu’un paravent, l’immigration étant instrumentalisée et utilisée comme un vecteur destiné à miner la stabilité politique du pays et sa cohésion sociale, dans le cadre d’un projet mondial désintégrateur. 

Posons-nous à ce stade cette question : si comme le rappelle à juste titre « Maroc -Hebdo » du 1er décembre 2023, les revendications du Gadem ont été exprimées et étayées pour «la énième fois » (et par les uns et par les autres depuis plusieurs années), pourquoi orchestrer cette campagne maintenant, qui prend plusieurs formes, et surtout qui a intérêt à la mener, à qui profite t-elle ? Sachant par ailleurs que les analyses, rapports, enquêtes et préconisations du Gadem, où on n’y trouve pas un vocabulaire incendiaire, nous ont permis d’affiner notre connaissance concrète dans le domaine de l’immigration au Maroc, ayant été bâties sur une base professionnelle en ayant recours au travail de terrain. Bien plus, on a pu reprocher parfois au Gadem sa proximité et le fait d’être « choyé » par les instances officielles comme le CNDH ou même les responsables directs de la gestion du dossier immigration. Les choses ont-elles changé maintenant et pourquoi ? Le positionnement du Groupe à travers ses notes, ses rapports et  communiqués, en particulier sur le dossier législatif ou sur celui plus récent des discriminations, serait-il maintenant gênant pour certains, qui sont allergiques à la réflexion plurielle et au débat pondéré, libre et démocratique ? 

Enfin, il serait souhaitable que « Maroc-Hebdo », dans sa recherche de transparence, donne plus d’informations s’il en dispose sur les aides que reçoit l’ONG du Maroc même, puisque l’article du 1er décembre 2023 précise qu’elle est « en partie soutenue par le réseau Open Society Fondations que par le Royaume lui-même » . En précisant qu’à  notre connaissance , le financement extérieur reçu en ce domaine est déclaré au Secrétariat général du gouvernement et pour certaines provenances, il passe même  par un département officiel concerné par le dossier immigration. 

Trois questions de Maroc-Hebdo 

Venons-en maintenant au questionnaire que nous a soumis « Maroc-Hebdo » et auquel nous répondons volontiers dans le cadre de cette contribution citoyenne au débat public sur cette thématique de la Nouvelle politique migratoire du Maroc, en respectant les trois questions telles qu’elles ont été formulées par sa rédaction. Les réponses ayant été diffusées uniquement sur le site et non pas sur les colonnes mêmes du magazine en papier du 8 décembre 2023, nous actualisons et élargissons leur publication à travers d’autres canaux, en remerciant vivement les responsables d’oujda.city de leur hospitalité. 

DÉSTABILISATION DU MAROC ? 

Question : L’appel du Gadem en faveur de la dépénalisation de l’immigration irrégulière au Maroc et de l’octroi systématique de carte de séjour aux immigrés irréguliers, n’ouvre t-il pas la voie à une absence totale d’encadrement au Maroc ? 

A.B : Pour répondre à cette première question , il est très important de replacer le propos dans son contexte. Publiée au Bulletin officiel du Royaume du Maroc le 11 novembre 2003, la loi 02-03 relative  à l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégulières, comprend certes des aspects positifs . 

Des avancées 

Cette loi a permis de décoloniser la législation marocaine héritée du Protectorat français , notamment le dahir du 8 novembre 1948 concernant l’émigration des travailleurs marocains , appelé par les avocats marocains de «dahir des poux et des punaises », parce qu’il prévoyait outre le certificat médical, le certificat de « désinsectisation » (!!!). Tout comme la loi 02-03  a comblé un vide sur certains aspects dans les textes juridiques en la matière, constituant un pas en avant dans l’établissement de l’État de droit, en permettant d’asseoir les pratiques administratives marocaines concernant l’im(é)migration  sur la base de règles juridiques . De même , cette loi protège les femmes immigrées enceintes et les enfants mineurs.

Des défaillances 

Ne traitant presque pas des modalités de l’émigration régulière à partir du Maroc, et se focalisant sur les sanctions encourues et les peines lourdes infligées en matière d’im(é)migration irrégulière(s), la loi comporte de grandes défaillances. Les critiques qui lui ont été adressées ne sont pas nouvelles et n’ont pas attendu son application. Dès l’élaboration de son projet, elle a été décriée . La loi se caractérise par un esprit répressif accentué et une forte orientation sécuritaire, axée fondamentalement sur le contrôle et la sanction, faisant d’elle un texte liberticide. 

Dans notre livre intitulé « Le Maroc non – africain, gendarme de l’Europe ? », avec pour sous-titre « Alerte au projet de loi 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégulières ! », paru à la mi-mars 2003, alors que le projet était encore en discussion parlementaire (et qui sera voté sans aucun changement en juin 2003), nous mettions en relief ceci.

Loin de constituer une mise à niveau salutaire, cette loi de l’inhospitalité est une simple loi de police des étrangers, considérés comme suspects et dangereux. Elle participe à une sorte de « guerre migratoire », en criminalisant les migrants . Elle doit être revue de fond en comble pour intégrer la dimension droits humains. Constituant un « clonage » sécuritaire ou un copier-coller littéral de l’Ordonnance modifiée du 2 novembre 1945 en France dans sa version révisée la plus répressive , elle répond à des conditionnalités extérieures, essentiellement européennes . Celles que précisait l’argumentaire de son projet , à savoir : « permettre au Maroc d’assumer pleinement ses engagements envers ses partenaires, notamment en matière de lutte commune contre la migration transfrontalière, dans sa double composante nationale et étrangère » , c’est à dire aussi bien l’émigration irrégulière des Marocains vers l’Europe, que celle des étrangers vers et à partir du Maroc. 

Autrement dit, assigner à résidence les nationaux et constituer une « loi anti-transit » pour les migrants de passage , qui sont bloqués. Le Maroc devant se blinder aussi bien pour la migration entrante ou pénétrante, que surtout la migration sortante vers l’Europe comme ont dû le faire de manière très proche bien d’autres pays africains par une législation répressive impulsée par l’UE . Tunisie (2004), Sénégal (2005), Algérie (2008), Mauritanie (2010)….. 

La loi 02-03 vise avant tout à légaliser les expulsions et les refoulements, à donner une base juridique à l’interdiction d’accès au territoire marocain, au retrait des cartes de séjour, à doter les autorités marocaines d’instruments juridiques permettant une gestion autoritaire, répressive, musclée et foncièrement sécuritaire de tout ce qui se rapporte aux migrations. 

Les chapitres les plus significatifs  en ce domaine, sont ceux relatifs à la reconduite à la frontière (chapitre III, articles 21 à 24), à l’expulsion (chapitre IV, article 25-27 ) et surtout aux dispositions pénales (chapitre VII, articles 42 à 56). Ces dispositions ignorent  le droit protecteur internationalement reconnu des migrants , instaurent la pénalisation des immigrés clandestins et criminalisent  ceux en situation administrative irrégulière, en érigeant en infraction pénale la migration irrégulière avec des sanctions d’emprisonnement et des amendes prévues pour les travailleurs marocains et étrangers en situation irrégulière.

Or sur ce point , le combat sans relâche ni répit contre les réseaux mafieux d’immigration et d’émigration irrégulières, qui exploitent la misère humaine, est une nécessité impérieuse du ressort du pénal, se justifiant dans son principe et sévérité. Par contre, l’essentiel de la loi, se place sous le signe de la criminalisation de la migration et de sa pénalisation, y compris pour les immigrés et les émigrés eux-mêmes et pas uniquement contre les organisateurs , les rabatteurs, les passeurs et les mafias avec tous leurs complices. Pour les migrants , la question est à gérer en effet dans l’esprit du «nouveau concept d’autorité » et non pas de manière punitive, « pénale » et privative de liberté. 

Amalgame et absence d’équilibre 

Lobby

De même, relevant d’une ère à conception sécuritaire de la migration, la loi 02-03 n’est pas du tout équilibrée, ignorant pratiquement les droits économiques, sociaux, culturels, cultuels et politiques des migrants (y compris le droit au regroupement familial), ainsi que leurs droits de défense et de recours en cas d’interpellation en situation administrative irrégulière. 

À son analyse, on est frappé par la tonalité excessivement  sécuritaire, plaçant la lutte contre l’immigration irrégulière  au même titre que la lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue et le blanchiment d’argent et considérant les migrants comme des délinquants , des criminels, voir même des terroristes. Ainsi, la migration irrégulière est incorporée aux autres problématiques transfrontalières et  insérée dans une thématique englobante de la criminalité transfrontalière. 

Dans le même esprit, on relèvera une concomitance  qui n’est certainement pas un simple hasard du calendrier : le projet de loi relatif à l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc , à l’émigration et l’immigration irrégulières et le projet de loi numéro 03-03 relatif à la lutte contre le terrorisme, ont été présentés et adoptés  à la même date par le gouvernement et soumis simultanément au parlement, constituant un amalgame préjudiciable et une conception plus que regrettable. Ceci constitue par ailleurs une clarification historique importante.

Contrairement à ce qui est très souvent écrit, les attentas terroristes de Casablanca du 16 mai 2003, ne sont pas à l’origine de la loi 02-03, dont le projet est bien antérieur. Précisons en effet que le projet de loi 02-03 a été soumis au Conseil de gouvernement le 9 janvier 2003 et il a été adopté par celui du 16 janvier 2003, après quelques retouches très formelles et superficielles. La convocation du Parlement en session extraordinaire a été faite à partir du 5 février 2003, avec un agenda très chargé et une procédure en accéléré.

En somme, ce n’est pas parce que, dans le combat contre le terrorisme, les agissements de certains étrangers doivent faire l’objet d’une vigilance accrue, que le droit de rentrer, de circuler et de s’établir des étrangers doit être bafoué et que cette démarche sécuritaire doit être à la base de la logique d’ensemble appliquée à la législation concernant les migrations  à partir du Maroc et l’immigration au Maroc.

Les gouvernements successifs ont regardé ailleurs

Dés lors, on comprend mal pourquoi les gouvernements qui se sont succédés depuis 2003 et surtout depuis 2013, y compris l’actuel gouvernement Akhannouch , n’ont nullement été pressés pour procéder à cette réforme substantielle indispensable. De notre point de vue, les raisons ne sont pas dues au manque d’expertise, mais à l’absence d’audace, de volonté de se soustraire de l’hégémonie exercée par l’UE et par un choix qui arrange en fin de compte les gestionnaires du volet immigration. Cela permet au Maroc  de jouer quand il le faut un rôle conformément à la vision de l’Europe sécuritaire au plan migratoire.

En effet, ce statu quo au plan juridique est bien commode pour le département concerné, en lui permettant de parler de caractère « légal »  et de « procédures strictement encadrées  par la loi et la réglementation en vigueur »  à un certain nombre de mesures administratives répressives , intensives et violentes prises contre les migrants désireux de rejoindre l’Europe. A titre d’exemple significatif, relevons les opérations organisées en été-automne 2018 et poursuivies depuis, appelées officiellement par euphémisme de « relocalisations ». Celles-ci ne seraient, selon le jargon du département concerné, que l’expression d’une « démarche préventive et protectrice du droit à la vie des migrants » que l’on met dans un milieu urbain «où les conditions de vie sont dignes ». Ou bien selon la délégation marocaine , présidée par le ministre de la Justice , Abdellatif Ouahbi, lors de la discussion du rapport du Maroc au Cerd à Genève fin novembre 2023  : « le gouvernement relocalise certains migrants pour les mettre en sécurité », en leur évitant de perdre leur vie en mer.

En fait, il s’agit d’arrestations collectives au faciès des personnes migrantes et du déplacement collectif forcé et violent de ces derniers du Nord vers le Sud ou le centre du Maroc pour les éloigner des côtes méditerranéennes pour envoyer des signaux à l’Union Européenne, et montrer à celle-ci et à ses Etats membres, que le Maroc fait le «job » en matière de contrôle frontalier et de protection de l’UE contre les arrivées irrégulières de migrant(e)s, jouant ainsi le rôle d’une forme de contrôle des frontières en amont, dans le cadre de la politique européenne d’externalisation.

Relevons que ces déplacements collectifs forcés, sont menés de façon arbitraire, avec l’utilisation du profilage racial. Ils ne sont soumis à aucune procédure légale, ni à aucun contrôle juridictionnel . Dénoncer ces pratiques réelles et bien documentées, y compris par les organes qualifiés de l’ONU (Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur familles en 2013 et le 6 avril 2023, Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’Homme des migrants), ne constitue nullement «une assertion purement diffamatoire» comme ceci a été affirmé sur les réseaux sociaux.

Absence de mise à niveau juridique

ensemble contre la haine
ensemble contre la haine

Mais vingt années après la mise en application de la loi 02-03, la réforme en profondeur du droit des migrants au Maroc , tarde beaucoup à venir. Cette loi ne s’est alignée entre temps  ni sur la Nouvelle Politique Migratoire du Maroc (septembre 2013), ni sur la Stratégie nationale  d’immigration et d’asile (SNIA) adoptée par le Conseil de gouvernement le 18 décembre 2014 et à partir de laquelle elle aurait dû être considérée comme caduque et dépassée. Tout comme cette loi 02-03 ne s’est conformé ni aux engagements internationaux du Maroc en matière de droits humains et de protection des droits des migrants (comme la Convention internationale pour la protection des droits de tous les travailleurs migrant et les membres de leur famille), ni aux dispositions avancées de la constitution 2011, ni à l’apport majeur du Maroc à travers  l’Agenda Africain sur les Migrations, adopté par le Sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’Union Africaine en 2018.

En effet, aucun projet n’a encore été adopté par le Conseil de gouvernement et encore moins soumis au Parlement, disculpant l’instance législative. Si la loi 27-14 relative à la lutte contre la traite des êtres humains a été adoptée puis promulguée et publiée  au BO du 15 décembre 2016, par contre, le projet de loi numéro 72-17 relatif à l’entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégulières, fait toujours l’objet de blocage, voir même d’un véritable veto du principal département concerné , qui n’a jamais formulé un projet de loi en la matière. En effet, préparé par le ministère de la Justice , en collaboration avec la Délégation interministérielle aux droits de l’homme, le projet de loi existant a été proposé par l’ex ministère chargé des Marocains résidant a l’étranger et des Affaires de la migration, mais sans aucune concertation avec la société civile.

Mais si la dernière version actualisée de ce projet de loi a été transmise au Secrétariat général du gouvernement (SGG) le 28 décembre 2018, depuis cette date, aucun progrès n’a été réalisé, permettant, après finalisation,  d’entamer le processus d’adoption législatif au parlement. Faute d’accord, le projet de loi est resté en fait cantonné auprès du SGG , n’ayant même pas été transmis au Conseil de gouvernement pour adoption, puis soumission au Parlement pour être discuté , amendé et faire l’objet d’un vote dans les deux chambres.

Le même blocage concerne le projet de loi numéro 66- 17 relatif  à l’asile et aux conditions de son octroi. La dernière version le concernant soumise au SGG, date de 2019.

Dès lors, compte tenu du grand retard pris, voir de l’abandon de fait de ce chantier juridique pourtant prévu par la Nouvelle Politique Migratoire du Maroc (NPMM) initiée par le Souverain à l’automne 2013, il s’agit de procéder à ces  réformes juridiques à marche forcée avec une échéance gouvernementale précise, car il ne peut y avoir une véritable nouvelle politique migratoire si elle n’est pas adossée à un arsenal juridique adéquat, avec notamment la dépénalisation et la décriminalisation de la migration irrégulière au Maroc , la facilitation de l’octroi et du renouvellement des cartes de séjour qui sont le socle d’une meilleure insertion multidimensionnelle dans la société marocaine, permettant la pérennité d’un séjour stable et l’accès à un emploi formel dans des conditions dignes. Cette procédure pâtit encore de multiples exigences bureaucratiques et de tracasseries : contrat de bail, contrat de travail, attestation de travail, CNSS, attestation d’hébergement, certificat médical, casier judiciaire, bulletin de paie, relevés bancaires…

En somme, il s’agit de mettre fin au recul de l’élan amorcé par les pouvoirs publics pour assurer une insertion réussie des personnes migrantes et des réfugiés, conformément à la SNIA. Ne pas oublier aussi l’application de l’article 30 de la Constitution relatif au droit de vote des étrangers au Maroc aux élections locales.

Précisons les choses. En définitive, le Maroc a non seulement le droit mais le devoir de savoir qui rentre au pays, qui en sort dans le cadre de sa souveraineté. Mais prôner la dépénalisation et la décriminalisation de la migration ainsi que la facilitation de l’obtention des documents de séjour, n’est nullement ne pas avoir de règles, « ouvrir la voie à une absence totale d’encadrement au Maroc » comme le formule la question posée. Il s’agit au contraire d’un encadrement basé sur une démarche de droits humains, une approche équilibrée qui capitalise sur les grandes avancées du Maroc au niveau constitutionnel et politique et respecte par les gestionnaires du dossier migratoire les décisions avancées et progressistes prises en la matière au plus haut niveau de l’Etat en septembre 2013.

C’est d’ailleurs ce qui a été fait lors de la régularisation administrative de près de 50.000 «sans-papiers » qui n’étaient pas des délinquants, des criminels ou des terroristes, mais des migrants en situation administrative irrégulière, des migrants « non-documentés »  et non pas des « illégaux » (!!!). Les deux opérations de régularisation ont été de très grandes avancées largement bien appréciées à travers le monde, constituant une forme de solidarité notamment avec les peuples africains frères et non pas des initiatives «déstabilisatrices du Maroc »(!!!) 

LE MAROC TENU PAR LES ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX 

Question : Une telle dépénalisation et l’octroi automatique de carte de séjour sont-ils en vigueur ailleurs ? Pourquoi le Maroc doit-il faire exception ?

A. B ; On ne peut ramener des questions de principe à des problèmes statistiques. Le Maroc adhère aux droits de l’Homme tels qu’ils sont reconnus internationalement. En ce domaine, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, charte fondatrice mais non contraignante, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1948, l’article 13 énonce que : « Toute  personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien ».

De plus , à travers Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le Maroc joue le rôle de Leader de l’Union africaine en matière de migration. L’ Agenda Africain des Migrations qui constitue un apport majeur du Royaume du Maroc à l’UA, prône une démarche humaniste, avec comme objectif le développement humain, loin du tout sécuritaire. À notre sens, cet Agenda est valable aussi pour le Maroc.

La Convention de Genéve interpelle le Maroc

Nasser Bourita

L’article de « Maroc-Hebdo » du 1er décembre 2023 est intitulé :  « Migration irrégulière: Qui veut que le Maroc devienne une terre d’asile ? ». D’après son contenu, cela sous-entend que le Maroc ne devrait pas l’être du tout. Or le droit d’asile figure parmi les droits humains et le Maroc s’est engagé à le respecter en adhérant notamment dés l’indépendance à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au Statut des Réfugiés et à son protocole du 31 janvier 1961. Cette convention est précise. Est réfugié : 

– celui qui a quitté son pays avec une crainte légitime d’être persécuté ;

– cette crainte peut être fondée sur ce qui a eu lieu dans le passé ou qui aura lieu dans le futur ;

– cette crainte doit provenir de la race, de la religion, de la nationalité, de la parole de l’appartenance à un groupe politique spécifique, des opinions politiques.

Cette crainte est la raison qui rend le demandeur d’asile un capable de séjourner de retourner dans son pays d’origine.

Par ailleurs, pour les État contractants, une autre obligation de protection découle de cette même convention de Genève, notamment ses articles 33 et 31. Ce dernier dispose que : «Les Etats  contractants n’appliquent  pas des sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irrégulier, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire ou leur vie ou leur liberté était menacée au sens prévu par l’article premier, entrent où se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu’ils se présentent  sans délai aux autorités et leur exposent des  raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulière ».

Autrement dit, il ne sera pas reproché à un réfugié d’être démuni de documents de voyage (article 31) et qu’il convient de retenir en leur faveur le principe de non expulsion ou non refoulement article 33.

Or sur ce plan et pour protéger le droit des réfugiés et des demandeurs d’asile, il convient d’abroger  urgemment l’alinéa 5 de l’article 17 de la loi 02-03, qui énonce que la délivrance de la carte de résidence aux personnes réfugiées  doit être soumise à la condition de la régularité dans l’entrée sur le territoire marocain.

Convention de l’OUA sur les réfugiés

Le Maroc a ratifié aussi un autre instrument important, à savoir au niveau régional «la Convention de l’Organisation de l’Unité Africaine régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, adoptée le 10 septembre 1969 et que le Maroc n’a jamais dénoncée  même lorsqu’il avait quitté pendant longtemps l’organisation panafricaine .pour des raisons politiques liées à la défense de l’intégrité territoriale du pays après l’admission illégale de la pseudo « RASD » à l’OUA le 12 novembre 1984.

Cette  convention de l’UA ( Union africaine) est plus en avance sur l’instrument précédent, dans la mesure où, outre l’incorporation de l’acquis de Genève, est considéré comme réfugié toute personne qui doit abandonner son pays du fait d’une agression, d’une occupation extérieure, d’une domination étrangère ou d’évènements troublant gravement l’ordre public dans une partie ou dans la totalité » de ce pays. Autrement dit, dans le cadre de cette définition large du terme de réfugié, l’asile peut être donné à toute personne qui fuit des conflits armés, des coups d’États, une situation d’instabilité politique et sociale, du désordre civil ou bien qui est forcé de se déplacer.

Or justement, ceci n’est-il pas le cas pour de nombreux Africains subsahariens qui viennent au Maroc à travers l’Algérie essentiellement (d’autres se dirigent vers la Libye ou la Tunisie), et qui sont ressortissants de pays connaissant la guerre inter-étatique , des conflits meurtriers de toutes sortes ou bien de graves troubles à l’ordre public ? Cependant , il est vrai qu’à travers l’externalisation de l’asile, l’UE cherche dans sa pratique, à dénaturer la Convention de Genève et à fuir les engagements souscrits par les Etats membres. Mais ceci ne doit pas être un prétexte et un paravant pour délégitimer la nécessité des réformes juridiques dans l’esprit  du plaidoyer en question.

Dés lors, la loi marocaine sur l’asile ainsi que la réforme de la loi 02-03 sont à entreprendre dans l’esprit de l’Agenda africain sur les migrations et non pas dans la logique du projet de nouveau pacte européen sur la migration et l’asile, en voie d’adoption par l’UE, orienté vers l’externalisation du contrôle des frontières et la délégation de la gestion des flux migratoires aux pays d’origine et de transit, permettant d’impliquer étroitement les voisins du Sud dans le contrôle frontalier et la politique européenne répressive de réadmission et de retour forcée.

QUELLE  DISTANCE AVEC L’UE ? 

Question: Dans quelle mesure cet appel s’articule t-il avec la politique migratoire européenne ? 

A. B : A  l’opposé de ce que sous-entend la question posée, plaider pour la dépénalisation et la décriminalisation de la migration irrégulière au Maroc, défendue par les uns et par les autres, ne s’inscrit et ne s’articule nullement avec la démarche de la politique migratoire de l’Union européenne et de ses Etats membres , qui est au contraire de plus en plus sécuritaire , comme on le constate notamment dans le projet de Nouveau pacte européen sur la migration et l’asile qui est en voie de finalisation par  les instances européennes concernées  (Commission, Conseil et Parlement européen) et à travers les lois nationales  d’immigration et d’asile qui sont de plus en plus restrictives dans un certain nombre d’États membres de l’UE (Italie, Danemark, projet de loi en France, etc).

Dans le même esprit, la Nouvelle politique migratoire du Maroc, fait partie d’un projet sociétal basé sur le respect des droits humains, la convivialité et le vivre-ensemble. Tout comme cette politique migratoire devient un volet d’une plus large et cohérente politique africaine du Maroc, visant à lui donner la place de référent. Le Maroc joue en effet un rôle primordial sur la scène africaine en mettant en place une nouvelle politique africaine qui intègre les dimensions économique, sociale, humanitaire,  culturelle, cultuelle et migratoire. D’où les grands défis que cette nouvelle politique migratoire pose et les exigences qu’elle impose à tout un chacun pour sa réussite, à travers notamment la présentation de propositions constructives pour l’action , tendant à améliorer et à approfondir cette nouvelle politique . 

Exprimée autrement, cette  nouvelle politique migratoire marocaine est une politique volontariste autonome. Elle est l’émanation de l’État marocain,  bien plus une initiative politique marocaine proactive qu’une politique réactive dictée par l’Union européenne. Entreprendre par le Gadem mais aussi par les uns et par les autres un plaidoyer pour le renforcement de cette Nouvelle politique migratoire du Maroc, n’est nullement faire le jeu de l’UE, bien au contraire.

Pour conclure

Au total, il est urgent de procéder de manière approfondie et démocratique aux réformes juridiques en matière d’immigration et d’asile, d’approfondir et de dynamiser la Stratégie nationale en matière d’immigration et d’asile (SNIA) lancée fin décembre 2014 et de restaurer les « Affaires de la migration » dans l’architecture gouvernementale pour réadmettre  la priorité à ce secteur qui a été relégué et déclassé, alors qu’il a besoin de visibilité et de dynamisation de l’action. En effet, la mission est très loin d’être achevée, l’objectif n’étant pas seulement la régularisation, mais l’insertion harmonieuse des immigrés dans la société marocaine, dans le cadre d’un projet sociétal de longue haleine.

Tout comme il ne faut pas oublier le secteur des citoyens Marocains résidant à l’étranger (citoyens MRE), dont la réforme globale par le gouvernement attend toujours après l’interpellation solennelle à travers le discours royal fondateur du 20 août 2022. À ce propos, il importe aussi d’organiser au Maroc un dialogue sociétal sur la migration à la fois dans sa dimension immigration étrangère et dans celle de communauté marocaine établie à l’étranger, en particulier pour faire ressortir l’apport de ces deux dimensions au développement multidimensionnel du pays, dont les aspects politiques et démocratiques.

Par ailleurs , en tant que chercheur, nous voyons la nécessité de l’élaboration d’un agenda national de la recherche en migration basé sur un financement interne et la mise en place d’un observatoire national de la migration , qui concerne les trois dimensions de la migration au Maroc : immigration et asile vers le Maroc, émigration vers l’étranger à partir du Maroc, communauté marocaine résidant à l’étranger. Un observatoire qui soit efficace, ouvert à tous les chercheurs sans exclusive , aux syndicats présents sur le terrain, à la société civile de l’intérieur du Maroc et parmi, la communauté des citoyen(ne)s marocain(e)s établi(e)s à l’étranger.

Enfin, certains responsables du dossier immigration et asile qui épousent de fait nettement -malgré les apparences- l’ancien concept de l’autorité, et estiment que dans le cadre de leur mission pourtant  publique, ils sont à l’abri de toute interpellation, et n’ont pas de compte à rendre à l’opinion publique, devraient au contraire selon notre point de vue, se soumettre au débat public, voir même l’organiser dans l’intérêt national. Dans ce sens, la mise à niveau juridique du dossier immigration et asile , avec notamment la réforme substantielle démocratique de la loi 02-03, ainsi que l’élaboration d’une loi sur l’asile , restent une urgence absolue . Encore une fois et encore , en parler de manière responsable et apaisée , en discuter  de façon pondérée , y compris en insistant sur la nécessaire dépénalisation et décriminalisation de la migration irrégulière et l’assouplissement des procédures d’octroi et de renouvellement des titres de séjour, est un besoin impérieux. Il ne devrait pas amener certains à vouloir faire étouffer la liberté de penser et de réfléchir et la liberté d’expression en matière de politique migratoire du Maroc et au delà, de la politique générale du pays. Il est bon de le rappeler à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’Homme ( 10 décembre) et à l’approche de la Journée internationale des migrants (18 décembre) .

Pour clore provisoirement, on souhaiterait vivement en particulier que tous les chercheurs en migration au Maroc ainsi que les associations d’étude et de recherche  en ce domaine, s’expriment publiquement et prennent leurs responsabilités. L’atteinte au Gadem et à des journalistes, indépendamment des différences que l’on peut avoir , nous touche toutes et tous.

Abdelkrim Belguendouz 

Universitaire à Rabat, chercheur en migration